Billet de François AGNES, Université Paris-Sud

Un constat pour changer nos pratiques 

 

La séance de travail dirigé (TD), construite sous forme de séries de questions de cours, d’analyses d’expériences ou de documents est censée stimuler l’étudiant dans son apprentissage de connaissances. On peut penser qu’elle constitue une forme de pédagogie active (1) puisqu’elle met l’étudiant dans une situation de questionnement. Bien que dans mes séances, les étudiants lisent les énoncés et entreprennent, chacun leur tour, des analyses descriptives, j’ai constaté que dans cette forme de pédagogie interactive, seul l’étudiant interrogé, parfois un ou deux autres, rarement plus, semblaient être dans une véritable réflexion. J’ai remarqué que les autres en mode suiveur, plutôt du genre silencieux, avaient tendance à attendre « la réponse » et notaient ce que je disais plutôt que de s’engager intellectuellement. En revanche, chaque fois que je place mes étudiants en activité (binôme), puis les fait passer au tableau, parfois en même temps pour confronter les résultats et propositions de chacun, je constate i) un investissement supérieur de chacun, ii) un engouement plus important à réaliser les exercices demandés, iii) un certain plaisir à prendre part à cette forme de distraction sérieuse et iv) qu’ils comprennent très bien leurs erreurs au travers des commentaires critiques et des solutions que je leur apporte. Dans ces moments, le plaisir d’enseigner est maximum, l’ambiance très détendue et le sentiment de les faire progresser élevé. Mais ces moments sont rares.

L’étudiant lambda en Licence de Biologie ne prépare pas ses TD. C’est un fait. Ce comportement passif est ancré chez lui depuis le début de son cursus universitaire et se poursuit jusqu’en Master 1. Il n’est pas spécifique puisqu’il caractérise également, selon des témoignages, des étudiants dans d’autres filières et d’autres universités françaises (e.g. FSEG Strasbourg). Quelque chose ne tourne pas rond. Ne pas préparer un TD, revient à n’en découvrir la substance qu’en début de séance. Sans échauffement préalable, l’étudiant mise sur son aptitude à intégrer les éléments parfois complexes des problématiques et des énoncés traités. Nous acceptons cet état de fait et nous ne changeons rien.

L’étudiant en Licence de Biologie a de grandes difficultés à mobiliser ses connaissances. Ceci est probablement dû au fait qu’il s’exerce peu à la mémorisation, sans doute peu habitué et enclin à le faire, probablement convaincu également qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre par cœur puisque la connaissance est aujourd’hui accessible en un clic. Cet étudiant a aussi de sérieux problèmes de logique pure et manque de bon sens. De son côté, l’enseignant se démoralise. Et pour combler les lacunes, refait parfois en TD des pans de cours, pensant que répéter permettra à l’étudiant de mémoriser plus. Ça ne marche pas.

L’étudiant de Licence est responsable de ses choix. Il ne travaille pas assez en dehors de la fac, il faut le blâmer. Mais il ne peut pas avoir tous les torts. Lui offrons-nous vraiment les meilleures conditions pour sa réussite ? Diagnostiquons les problèmes. L’emploi du temps d’une semaine type en licence est très chargé. L’étudiant a donc peu de temps pour travailler chez lui. Je ne parle pas de ceux qui habitent loin ou travaillent pour s’autofinancer: pour eux, le problème est plus complexe encore. Certains plannings sont devenus en L2 et en L3 de Biologie un véritable frein à la pédagogie dans la mesure où les groupes ne reçoivent pas en parallèle les mêmes enseignements. Trop nombreux et trop denses sont les cours d’amphi. Les degrés de complexité de nombreux objectifs d’apprentissages sont sous-estimés. En Biologie, nous pratiquons souvent le gavage (parfois jusqu’en Master) qui ne profite qu’à très peu d’étudiants. Si je veux qu’un étudiant retienne 20, dois-je lui donner 50 ou bien 100 voire 150 comme c’est le cas actuellement ? Mais au fait, que voulons-nous qu’ils retiennent ? Non seulement il y a trop de cours, mais chaque cours en moyenne contient beaucoup trop d’informations (effets pervers et délétère des diaporamas). Heureusement, certains enseignants sont conscients de ce problème et continuent de faire cours au tableau, respectant ainsi le temps nécessaire à l’apprenant pour prendre des notes et digérer les informations qui viennent à lui. Les TD sont également denses. Il n’est pas rare d’avoir des difficultés à les terminer dans les créneaux horaires impartis. On accélère alors le rythme pour boucler.

Nombreux sont les étudiants peu enclins à prendre la parole, plus soucieux de noter les réponses sans vraiment réaliser que le chemin est tout aussi important que la destination, qu’apprendre à pêcher permet d’apprendre à se nourrir seul. L’étudiant se dit qu’en reprenant ses notes parfois partiellement comprises, il aura le loisir d’intégrer plus tard ce qui ne l’aura pas été en séance de TD. Il pense que comprendre les corrections dictées par un professeur est suffisant. Et nous maintenons, en Biologie, souvent, des séances où les étudiants ne sont pas véritablement actifs, c’est-à-dire, amenés à travailler seul, en binôme voire en petit groupe pour résoudre des exercices.

L’étudiant de 2018 n’est pas celui de 1988, il n’a plus grand-chose à voir non plus avec celui de 1968. La société a évolué et change en profondeur, de façon rapide, notamment avec le réseau informatique mondial. Comment faire évoluer nos pratiques pédagogiques ? Comment rendre plus efficace l’apprentissage ? Comment permettre au plus grand nombre de progresser, tout en stimulant les meilleurs ?

 

Voici ce que je propose

  • Réduisons drastiquement le nombre d’heures de cours d’amphi et favorisons des cours de restructuration, des séances magistrales plus courtes, synthétiques, après que les étudiants aient produit un effort, débroussaillé le terrain, appris. Des ressources pédagogiques en ligne sont chaque jour plus abondantes, accessibles de n’importe où et surtout d’excellente qualité. L’université Paris-Sud en a mis une à notre disposition, la plateforme ScholarVox par exemple, qui donne accès à de très nombreux livres en ligne à l’enseignant comme à l’étudiant . Une nouvelle manière d’envisager l’enseignement se profile. Et nous pouvons aussi créer des ressources, des initiatives vont dans ce sens.
  • Mettons en place des activités pédagogiques présentielles où les étudiants sont tous actifs et produisent. Demandons un peu moins mais exigeons de leur part un véritable investissement en présentiel un stylo à la main.
  • Créons des séances au cours desquelles les problèmes proposés visent à développer des compétences : décrire, schématiser, synthétiser, mesurer, quantifier, comparer, distinguer sans confondre un résultat d’une interprétation, conclure et émettre des hypothèses à partir de données. Pour donner véritablement à nos étudiants les moyens d’apprendre à construire un raisonnement et s’approprier la démarche scientifique. Enseignons leur aussi comment rédiger des conclusions, des introductions, en intégrant ces pratiques au sein des UE. Bref, transmettons leurs tous nos savoir-faire de chercheur sans vouloir en faire des chercheurs.
  • Mettons en place des séquences pédagogiques en mode inversé où i) les étudiants préparent des fiches ou des sections de chapitres de livres, fournis ou accessibles en ligne sur des bases de données  (e.g. ScholarVox) et ii) restituent leur travail préparatoire sous l’œil critique d’un professeur. Avec un tel système les étudiants travailleraient doublement, en amont (séance de préparation) et en aval (séance de restitution). Ils pratiqueraient aussi la prise de parole. Il a été déjà testé avec succès en Master (UE Développement en Question, M1 Biologie-Santé, UPSud).

 

De tels changements peuvent être réalisés au sein de chaque UE. Ils nécessitent :

  • de (re)définir et formuler nos objectifs d’apprentissages visés (OAVs). Ceux-ci sont étonnement non déclarés dans de nombreuses UE où seules des fiches ROF insuffisantes sont disponibles. Formuler les OAVs, c’est se donner les moyens d’expliciter aux étudiants nos attentes. C’est aussi le meilleur moyen de communiquer entre nous.
  • d’intégrer la dimension « Compétences méthodologiques » dans nos OAVs.
  • d’opérer des alignements pédagogiques. C’est-à-dire, de faire coïncider des activités pédagogiques dédiées avec les OAVs définis. L’alignement pédagogique doit se faire à l’échelle des UE mais aussi à celle de groupes d’UE que ce soit horizontalement par année ou verticalement dans la progression des années d’un diplôme.
  • de rendre compatibles entre eux les OAVs de chaque UE en pondérant de façon équitable les charges de travail demandées aux étudiants.
  • d’augmenter la concertation entre enseignants, à l’échelle des UE, des années et des thématiques, ce qui n’est pas simple dans la mesure où beaucoup sont surchargés et ont le sentiment de ne pas pouvoir consacrer assez de temps pour leur recherche.

 

Pour conclure, proposons de nouveaux contrats à nos étudiants pour qu’ils deviennent acteurs de leurs apprentissages. Nous pouvons parier qu’ils apprendront mieux et plus ! Si des études ont montré que l’apprentissage actif (voir ci-dessous) est de loin le plus efficace et que rien ne vaut l’activité réflexive un stylo ou une craie à la main, n’est-ce point alors quelque-chose à mettre en place pour installer les étudiants dans une dynamique de travail, les motiver à apprendre et les mener sur les chemins de la réussite ? Nous formons des jeunes adultes qui pour une grande majorité ne feront pas de master, ni de doctorat. Proposons leurs des parcours visant l’acquisition de solides bases de connaissances. Des parcours professionnalisant leur permettant d’acquérir des compétences scientifiques cruciales pour s’adapter rapidement au monde de l’entreprise sans pour autant les former à un métier particulier. Nous en avons les moyens.

 

Qu’est-ce que l’apprentissage actif

L’apprentissage actif place l’étudiant au cœur de son instruction (1). Il revêt différentes formes telles que l’apprentissage par problème ou l’apprentissage collaboratif. Il s’oppose à l’apprentissage traditionnel, au cours duquel l’étudiant reçoit un enseignement dispensé par un professeur (démonstration, cours d’amphi, corrections d’exercice de TD). La taxonomie de Bloom (2) propose une classification des niveaux d’acquisition des connaissances, caractérisés par des degrés de rétention de l’apprentissage (3). Apprendre en faisant est plus efficace qu’apprendre en participant, et beaucoup plus efficace qu’apprendre en écoutant ou en suivant. Cela se mesure par une capacité de rétention d’informations accrue. Bien qu’inégal, un bénéfice large pour les éléments principaux d’apprentissage actif, collaboratif, coopératif et à base de problèmes a été décrit sur la base de preuves expérimentales (4, 5).

 

Ressources

1 – Charles Bonwell and James Eison (1991) Active Learning: Creating Excitement in the Classroom. 1991 ASHE-ERIC Higher Education – Reports.

https://files.eric.ed.gov/fulltext/ED336049.pdf

2 – Taxonomie de Bloom 

Article en ligne

http://www.univpgri-palembang.ac.id/perpus-fkip/Perpustakaan/Pendidikan%20&%20Pengajaran/Taxonomy_of_Educational_Objectives__Handbook_1__Cognitive_Domain.pdf

Article sur Open library (très belle bibliothèque en ligne de livres anciens)

https://openlibrary.org/account/login?redirect=/works/OL8402086W

Représentation graphique moderne de la taxonomie de Bloom

https://fr.wikipedia.org/wiki/Taxonomie_de_Bloom

3 – https://en.wikipedia.org/wiki/Active_learning

4 – Michael Prince (2004) Does active learning works ? A review of the research. J. Engr. Education. 93(3), 223-231.

http://www4.ncsu.edu/unity/lockers/users/f/felder/public/Papers/Prince_AL.pdf

5 – Joel Michael (2006) Where is the evidence that active learning works? Adv. Physiol. Educ.

30, 159-167

https://www.physiology.org/doi/pdf/10.1152/advan.00053.2006

 

Une réponse à « Nos formats pédagogiques remplissent-ils toujours leurs objectifs aujourd’hui ? »

  1. Bonjour,

    Oui, changeons nos pratiques enseignantes … tout en accompagnant les étudiants à changer leurs méthodes de travail. Ils sont souvent déstabilisés face à des pratiques
    pédagogiques différentes de ce qu’ils ont vécu au lycée, et ne sont pas immédiatement prêts à changer de posture.

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