Romuald Drot est chargé de mission « Conception et expérimentation de scénarios pédagogiques » auprès de la Vice-Présidente « Formation, Innovation Pédagogique et Vie étudiante ».
Les réflexions exposées dans ce billet résultent d’une campagne d’entretiens menés auprès d’une trentaine de collègues de l’Université Paris-Saclay entre novembre 2020 et février 2021 ainsi que des propres pratiques de l’auteur. Elles n’ont donc d’autre but que d’exposer un point de vue personnel, nécessairement biaisé mais néanmoins, espérons-le, utile à la communauté.
En raison de la crise sanitaire, la mise en place à marche forcée d’enseignements à distance a été réalisée, dans un premier temps, « avec les moyens du bord », chacun trouvant dans l’urgence une solution qui lui convenait plus ou moins. Puis, les retours d’expériences au travers de cafés pédagogiques, de webinaires, de sites internet (Persay, Direction en charge de l’Innovation Pédagogique et Institut Villebon Charpak principalement) ou encore de newsletters et de réunions diverses ont permis d’échanger assez largement sur les pratiques et les solutions trouvées par chacun. En parallèle, la structuration de l’offre en termes de soutien à la pédagogie (formations, ingénierie) nous a permis de nous professionnaliser (un peu) dans notre pratique de l’enseignement en mode distanciel. Le chemin est certainement encore long pour avoir une offre cohérente et attrayante de formations à distance mais la mise en commun de toutes les initiatives mises en place, des solutions trouvées*, de tous les écueils rencontrés permet à chacun de mieux s’approprier les outils et les pratiques. Dans ce qui suit, quelques exemples de dispositifs mis en place sont présentés ainsi que leurs avantages et limites d’un point de vue pédagogique, en n’abordant volontairement pas les aspects techniques. Il n’est nullement question de dresser ici une liste exhaustive des dispositifs possibles mais simplement de mentionner ceux qui ont été plébiscités pour un certain nombre de collègues.
Faire du présentiel à distance…
Une des solutions les plus simples et les moins chronophages à n’en pas douter consiste à prendre ce qui existe déjà et à le transposer directement en distanciel.
Dans une configuration de base, il s’agit de partager avec les étudiants une présentation type Powerpoint qui est commentée. Le partage du document se faisant soit en synchrone au travers de l’outil Blackboard Collaborate, soit en asynchrone via la plateforme ecampus. Le principal avantage de cette solution est qu’elle est rapide à mettre en œuvre et qu’elle demande l’utilisation d’outils que les collègues ont appris à maîtriser. Néanmoins, elle présente des inconvénients importants. En premier lieu, la monotonie. Même si le ton de l’enseignant est dynamique et enjoué, suivre un enchaînement de ce type d’exposés demande à l’étudiant un effort de concentration très important. Imaginons de suivre à distance 5 ou 6 heures de conférences, juste en regardant un écran et en entendant une voix commenter des diapos… L’enseignant va bien évidemment agrémenter son exposé de questions orales (auxquelles il n’aura d’ailleurs pas toujours de réponse) pour dynamiser son cours, mais l’étudiant reste globalement passif. Une autre difficulté inhérente à ce dispositif est le manque de retour « visuel » pour l’enseignant. Les étudiants allumant très peu leur caméra et répondant de manière aléatoire aux questions posées oralement, il est difficile d’identifier les décrocheurs.
Dans une configuration un peu plus technique, la captation du cours ou du TD est réalisée au moyen d’un visualiseur ou d’une webcam sur pied qui filme un tableau. La retransmission est réalisée en directe (via Blackboard Collaborate) ou en différé en déposant un enregistrement sur la plateforme ecampus. Le gros avantage de ce type de dispositif est qu’il permet à l’enseignant de conserver une pédagogie semblable à celle mise en place traditionnellement en mode présentiel. De plus, dans le cas du mode synchrone, il est possible de répondre spécifiquement à des questions en faisant, en direct, des démonstrations au tableau ou sur une feuille filmée par le visualiseur. Pour l’étudiant, ce type de dispositif est un peu plus dynamique, la vidéo apporte une dimension tout à fait intéressante. Par contre, cette configuration peut parfois amener l’enseignant à aller aussi vite qu’en présentiel, donc beaucoup trop vite. Nous avons nos repères en présentiel, la configuration est plus ou moins identique à celle utilisée traditionnellement, les habitudes en termes de débit d’information reprennent vite le dessus. Il faut se concentrer pour s’obliger à ne pas aller trop vite. Enfin, il reste toujours l’aspect passif des étudiants qui peut entraîner plus de décrochage, ce qui demeure toujours compliqué à identifier.
Dans une configuration encore plus évoluée technologiquement, l’utilisation d’une tablette graphique, voire d’un vidéoprojecteur interactif ou d’un écran numérique interactif dans une salle équipée peut également constituer une solution facile à utiliser.
Quel que soit le dispositif choisi ici, sa mise en œuvre reste assez aisée pour l’enseignant qui « voit » où il va. En effet, globalement ces dispositifs permettent de recréer une expérience assez proche du présentiel (les étudiants mis à part). Ils présentent donc un caractère rassurant en minimisant la part d’inconnu : une pédagogie habituelle et des outils numériques simples et en nombre limité. Implicitement ici, nous avons considéré des enseignements en 100% distanciel. En effet, la configuration comodale synchrone avec des étudiants en présence et à distance est actuellement largement délaissée, en raison notamment de la difficulté à gérer à la fois un public présent et un public à distance.
… ou faire du distanciel
Faire un enseignement en distanciel, réellement pensé pour ce mode de transmission des connaissances, va nécessiter du temps. Il faut non seulement revoir la pédagogie mise en place mais aussi imaginer les dispositifs qui vont permettre à l’étudiant et à l’équipe enseignante d’interagir au mieux. Parce que le temps en classe et à la maison n’est pas le même, parce que les tentations de se disperser sont bien plus nombreuses à domicile et enfin parce que le rapport humain est bien plus difficile à établir au travers d’un écran, il faut faire preuve de créativité, se former à certains outils, à certaines pratiques. Tout cela, c’est du temps. D’autant plus que le terme distanciel regroupe des pratiques très diverses : mode synchrone avec diffusion en direct ; mode asynchrone avec dépôts de documents sur une plateforme d’enseignement ; 100% distanciel comme pour les SPOC par exemple ; enseignement hybride, mélangeant en quantité variables des séquences présentielles et distancielles.
Concevoir un enseignement totalement à distance peut difficilement se faire sans être accompagné par une équipe d’ingénierie. Si la création du contenu pédagogique est du ressort de l’enseignant, ce dernier va très rapidement être confronté aux aspects techniques : scénarisation du cours, intégration sur la plateforme d’enseignement, habillage graphique…. C’est pourquoi, la création de tels modules d’enseignement ne peut se faire en dehors de projets bien définis qui permettront un travail en étroite collaboration entre l’équipe enseignante, les services en charge de la pédagogie et d’éventuels prestataires extérieurs.
Alors, doit-on en conclure que l’enseignement à distance est une affaire de spécialistes ? Que rien n’est possible sans une équipe d’ingénieurs pédagogiques aux profils variés ? La réponse est bien sûr négative car réaliser des séquences pédagogiques à distance peut se faire (et se fait) avec des compétences limitées en ingénierie de formation. Heureusement !
Un certain nombre d’outils et de pratiques sont déjà utilisés en présentiel par de nombreux collègues pour dynamiser les cours en amphi, impliquer davantage les étudiants, avoir un feedback régulier de leur progression. On peut citer par exemple, les boitiers de vote, Wooclap et divers logiciels de travail collaboratif. Certains enseignants utilisent des tablettes graphiques en amphi en complément de l’écriture au tableau, font appel à des ressources externes type vidéo pour rompre la monotonie du cours traditionnel. Les initiatives sont multiples et souvent très appréciées des étudiants. Les choses se posent exactement dans les mêmes termes pour une séquence à distance, donc les solutions techniques envisageables sont similaires. La seule différence est que tous les problèmes de concentrations, de motivations des étudiants, toutes les difficultés d’établissement d’un réel échange entre professeur et élèves sont exacerbées dans le mode distanciel. C’est tout !
Quelques exemples de solutions mises en place sont présentés dans les lignes qui suivent. Il s’agit simplement de les citer sans détailler leur mise en œuvre technique. Des tutoriels concernant les logiciels cités sont disponibles sur différents sites internet et sont ou seront bientôt disponibles sur le site de la DIP (https://www.dip.universite-paris-saclay.fr/).
La vidéo constitue un excellent média auquel nos étudiants sont rompus. Si l’enseignant se filme en dispensant son cours, cela permet d’apporter de l’humain. Nous-mêmes, enseignants nous plaignons souvent que les étudiants n’allument jamais leur caméra… Il ne s’agit pas forcément d’avoir (tout le temps) l’enseignant en plein écran, mais une vignette permet déjà de changer totalement le ressenti par rapport à ce qui est diffusé. Même en l’absence de webcam, des solutions simples existent pour transformer son smartphone webcam (Iriun Webcam). Des logiciels comme OBS Studio, très facile à prendre en main, permettent de disposer d’une véritable « régie » à domicile en mixant les sources audios/vidéos qui seront simplement partagées comme une webcam dans Blackboard Collaborate.
Le dynamisme peut être apporté par l’utilisation de tablettes graphiques, de visualiseurs, de tableaux filmés, d’écrans interactifs… L’idée générale est ici que l’étudiant voit quelque chose en train de se construire, de se dérouler pas à pas devant lui. Le couplage de l’utilisation de la tablette graphique avec un logiciel facile à prendre en main comme OpenBoard répond parfaitement à ce type de besoin. Il permet d’annoter les diapos en direct, de créer de nouvelles pages pour faire une démonstration ou un schéma…
L’interactivité est assez facile à instaurer grâce, par exemple, au travail en petits groupes par le biais de Blackboard Collaborate. Cette solution est très efficace pour les séances d’exercices ou de réflexion sur un sujet donné. Elle permet aux étudiants d’être actifs, de partager des contenus et d’échanger, en activant leur micro ! Dans cette configuration, l’échange avec l’enseignant est grandement facilité. Il peut également s’agir de questions posées soit par le biais de Blackboard Collaborate, soit au moyen d’un outil comme Wooclap.
Le feedback prend toute sa dimension dans un mode distanciel du fait que l’on ne dispose pas de retour visuel des étudiants. Impossible d’identifier les décrocheurs d’un simple coup d’œil. Wooclap permet, entre autres, d’assurer cette fonction au moyen d’un ensemble d’activités (nuages de mots, sondages, exercices…). De manière plus minimaliste, les icônes de Blackboard Collaborate peuvent en partie être utilisées pour avoir régulièrement un retour des étudiants. Ils s’y plient d’ailleurs sans problème.
Ce que l’on voit, ici, c’est bien sûr qu’aucun outil ne pourra répondre à lui seul à tous les besoins de l’enseignant. Il faut donc coupler les logiciels mais sans sombrer dans l’usine à gaz et sans passer un temps déraisonnable à s’approprier les outils. C’est certainement le point le plus délicat, celui sur lequel chacun, ingénieur pédagogique comme enseignant, doit être vigilant. Les premiers, car il y a risque de noyer les enseignants sous une avalanche de solutions. Les seconds, car il y a risque d’épuiser les étudiants par la multiplication des outils utilisés.
Les solutions sont multiples, propres à certains enseignements ou même parfois propres à des enseignants qui utilisent des outils qu’ils trouvent pratiques, sympas, simples ou puissants. Mais il semble important de veiller à avoir un socle commun de logiciels « récurrents », en nombre très limité, qui vont devenir familiers des étudiants. En effet, certains d’entre eux se plaignent de cette surabondance d’outils qui, finalement, remplissent les mêmes fonctions.
En conclusion, enseigner en distanciel peut revêtir bien des pratiques, du simple partage de documents à une unité d’enseignement totalement dématérialisée. Bien sûr, selon les cas, l’investissement n’est pas le même pour l’enseignant et les changements en termes de pédagogie sont plus ou moins importants. Il n’en demeure pas moins qu’un des problèmes récurrents, quel que soit le dispositif, porte sur l’implication des étudiants, comme en présentiel d’ailleurs. La complémentarité d’outils peut certainement être mise à profit pour à la fois dynamiser sa pratique et la rendre plus intégrative. Quant à l’hybridation des formations dont on parle de plus en plus, elle nécessite des compétences en ingénierie qui rendent quasi-impossible le développement de telles pratiques sans le soutien d’équipes pluridisciplinaires. Mais gageons que les expériences acquises, aux forceps, durant la crise sanitaire permettront aux enseignants d’appréhender plus sereinement les transformations à venir. De nouveaux équipements (Rapid’MOOC, Kast…) sont actuellement déployés sur l’université, ouvrant de nouveaux horizons à la pratique de l’enseignement à distance. Mais ceci est une autre histoire…